Je vous partage aujourd’hui une photographie qui nous a été transmise par ses héritiers au décès de la tante de ma mère, Gilberte, en 2005.

Gilberte était la femme de Victor CHOMETON (1907-1997), frère de mon grand-père Pierre CHOMETON (1909-1994). Nous savions que Victor possédait de nombreux papiers de famille sur ses ancêtres, que Gilberte devait avoir dans ses tiroirs. Mais à son décès, ses héritiers (de son côté à elle, car Victor et elle n’avaient pas d’enfant) ont été assez frileux pour nous communiquer ces documents qui ne les concernaient pourtant pas. Ils ont quand même fini par nous envoyer cette photographie qui viendrait donc de la famille CHOMETON !

Le père de Pierre et Victor, Eugène CHOMETON était commerçant au Havre. Il y naît le 7 mai 1870, s’y marie le 30 mars 1894 avec Rachel GOSSELIN, et y décède le 1er décembre 1964, à l’âge de 94 ans. Ma mère, sa petite fille, avait alors 14 ans. Elle l’a donc assez bien connu pour se souvenir qu’elle l’avait entendu parler de l’armée et du Cadre Noir de Saumur, la prestigieuse école de cavalerie. Elle savait également qu’il existait une photographie de lui en uniforme de soldat.

Lorsque nous avons reçu cette photographie, une question s’est tout de suite posée : le soldat sur cette photographie est-il Eugène CHOMETON ?

Photo soldat de Gilberte

Premier indice, l’uniforme. En parcourant les photographies de régiments de la Première Guerre Mondiale sur le site http://www.chtimiste.com (une vraie mine d’or ce site !) et sur http://military-photos.com/histochass.htm, je reconnais (confirmé par chtimiste) l’uniforme des régiments de chasseurs à cheval (régiments de cavalerie). La cavalerie… point commun avec Eugène qui aurait fait l’Ecole de Cavalerie de Saumur.

Deuxième indice, les chiffres écrits sur le col ? En jouant sur les niveaux et les contrastes dans Photoshop, il semblerait que le chiffre 18 soit écrit des deux côtés du col. Cela indique-t-il que l’homme sur la photo fait partie du 18ème Régiment de Chasseurs à Cheval ? Je ne trouve rien de concret sur ce régiment sur Internet (parenthèse naïve : il n’existe pas de listings des soldats pour chaque régiment par année ?). D’ailleurs, cet indice est très faible, car je n’arrive pas à déterminer précisément si c’est bien un chiffre ou juste un dessin sur le col.

Troisième indice, le cadre de la photo. Malheureusement, personne n’a rempli les informations figurant sous la photo, ce qui aurait pu m’être d’une si grande aide ! Mais finalement ç’aurait été trop simple…! La classe est quand même indiquée comme étant dans les années 1890-1899. De par sa date de naissance, Eugène est justement de la classe 1890 !

J’ai donc contacté les Archives Départementales de Seine Maritime pour obtenir son numéro de matricule et sa fiche (ces archives n’étant malheureusement pas encore en ligne). Je leur ai indiqué que la classe d’Eugène était la classe 1890 et qu’il habitait au Havre en 1890, ce dont je n’étais pas absolument sûre mais qui était extrêmement probable. Le bureau de recrutement d’Eugène était donc très probablement celui du Havre. J’ai ainsi récupéré la fiche matricule d’Eugène que je vous retranscris ci-dessous (n’ayant malheureusement pas la licence pour publier l’image sur Internet) :

Fiche matricule d'Eugène CHOMETON
Retranscription de la fiche matricule d’Eugène CHOMETON
(pour ceux que cela intéresse, la trame de mon fichier Excel est téléchargeable à la fin de l’article !)

On y trouve un tas d’informations très intéressantes sur Eugène !

Sur la fiche, il est indiqué que sa classe de mobilisation est 1889, au lieu de 1890. Bizarre ? En fait, la classe de mobilisation n’est pas tout à fait la même chose que la classe de recrutement. La classe de recrutement correspond à l’année de naissance + 20 ans, car c’est à 20 ans que les hommes sont recensés militairement. Généralement, cette classe est la même que la classe de mobilisation. Mais dans notre cas, il est indiqué sur sa fiche qu’Eugène est « engagé volontaire« . De ce que je comprends de cette indication, Eugène n’aurait donc pas attendu d’être inscrit sur la liste de recrutement cantonal pour s’engager, sans doute parce que les engagés volontaires ont l’avantage de pouvoir choisir leur corps d’affectation.

Cependant, quelque chose me chiffonne : Eugène a commencé son service actif le 27 octobre 1890 et non en 1889… Eh bien en fait j’ai appris que le départ habituel à l’armée se faisait toujours l’année des 21 ans de l’appelé : ainsi la classe 1890 était toujours incorporée en octobre de l’année suivante, soit octobre 1891. Engagé volontaire à la fin de l’année 1890, Eugène suit donc le sort de la classe 1889 qui vient d’être incorporée.

La classe (de mobilisation) est utile pour savoir si son ancêtre a été mobilisé lors de la Première Guerre Mondiale. Les classes de 1887 à 1919 furent mobilisées selon la répartition suivante, valable du 1er octobre 1913 au 30 septembre 1914 et suivie pour la mobilisation (plus d’infos ici) :
– Classes de 1911 à 1913 : Armée active
– Classes de 1900 à 1910 : Réserve de l’armée active
– Classes de 1893 à 1899 : Armée territoriale
– Classes de 1887 à 1892 : Réserve de l’armée territoriale -> c’est le cas d’Eugène

Détaillons maintenant le parcours militaire d’Eugène. De 1890 à 1891, il fait partie du 28ème Régiment de Dragons, corps qu’il aurait donc choisi au vu de son engagement volontaire. Internet fourmille d’histoires et d’informations sur les différents régiments à partir de 1914. Mais pas d’information ni de photographies de celui-ci en 1890-1891. Je repère tout de même que l’uniforme des dragons est différent de celui que porte notre mystérieux soldat sur la photographie, la couleur de la veste du dragon est plus foncée :

Photo dragon
Dragon du 28ème régiment
Source : Message de Nico56 sur http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/Forum-Pages-d-Histoire-cavalerie/dragons-sujet_36_1.htm

Dommage car le numéro 18 que je lis sur le col pourrait être un « 28 »…

De 1891 à 1892, Eugène passe à la 5ème compagnie de Cavaliers de remonte. Cavaliers de remonte ? Pas facile de trouver des informations sur cette compagnie. Le rôle de la cavalerie de remonte est de procéder à l’achat (ou la réquisition) des chevaux, d’assurer leur élevage et leur préparation au régime militaire. Sur Gallica, je trouve quand même que la 5ème compagnie était affectée au service des Ecoles Militaires : entre autres l’Ecole Supérieure de Guerre de Paris, l’Ecole Militaire de Saint-Cyr, l’Ecole Militaire d’Infanterie de St Maixent… et l’Ecole de Cavalerie de Saumur ! La fiche militaire d’Eugène indique également qu’il est justement passé à Saint-Maixent (et non St Mexent, mal orthographié sur sa fiche) de 1892 à 1893. Même si aucune référence à Saumur n’est faite sur sa fiche, j’ai donc tendance à croire la mémoire orale selon laquelle Eugène y est bien allé. De nombreux sites de particuliers indiquent d’ailleurs que la 5ème cavalerie de remonte était celle de Saumur.

Sa fiche indique également qu’Eugène est brigadier fourrier. Le fourrier est chargé de la distribution des vivres et des équipements, et du campement des troupes. C’est donc un rôle logistique.

Mais de nouveau, l’uniforme des cavaliers de remonte, très foncé, diffère de celui de notre soldat :

Photo cavalier de remonte
Cavalier de remonte de la 5ème compagnie à l’orée du XXème siècle
Source : Message de Manjimup61 sur http://lagrandeguerre.cultureforum.net/t61789p20-la-cavalerie-de-remonte

Après ses 3 ans jour pour jour passés dans l’armée active, Eugène a fini son service actif le 27 octobre 1893. Il passe alors dans la réserve de l’armée active, c’est-à-dire qu’il pourra être appelé en cas de mobilisation pour compléter les effectifs de l’armée active. Il est affecté au 3ème escadron du Train des Equipages à Vernon. En temps de guerre, le Train des Equipages est chargé du ravitaillement et des évacuations de l’armée, encore de la logistique ! Eugène y effectue ses deux périodes d’exercices de 28 jours en juin 1896 et 28 jours en août 1899.

Entre temps il s’est marié avec Rachel GOSSELIN le 30 mars 1894 au Havre. Et sur son acte de mariage, il est indiqué qu’Eugène est comptable, ce qui est sûrement la raison pour laquelle il a un rôle logistique dans l’armée.

Le 15 novembre 1901, il passe dans l’armée territoriale. Pourtant, en bas à droite de sa fiche, il est noté qu’il aurait dû passer dans l’armée territoriale le 27 octobre 1903 (soit après 10 ans légaux passés dans la réserve de l’armée active). Cependant, il existe une dispense « article 58 » (article 58 de la loi de recrutement de 1889) qui stipule que tout père de 4 enfants passe automatiquement dans l’armée territoriale. Et en effet, le 1er avril 1901 est né le 4ème enfant d’Eugène.

Dans l’armée territoriale, Eugène effectue une période d’exercices de 14 jours en avril 1904. Le 1er octobre 1909, il passe enfin dans la réserve de l’armée territoriale. En bas à droite de sa fiche, il est indiqué qu’Eugène devait être définitivement libéré de ses obligations militaires le 27 octobre 1915.

Mais le 1er août 1914, un décret annonce la mobilisation des soldats pour la Première Guerre Mondiale. Eugène est mobilisé dans le 3ème escadron territorial du Train des Equipages à Vernon. Il n’y reste qu’une semaine, du 15 au 22 septembre 1914, car il est libéré de toute obligation militaire, étant père de 8 enfants.

La fiche matricule m’a donc permis de retracer le parcours militaire d’Eugène. Grâce à cette fiche, je peux réaliser une ligne de vie très complète pour Eugène. Dans cet article, je me suis volontairement concentrée sur le lien entre la carrière militaire d’Eugène et la photographie. Mais j’ai encore beaucoup de choses à rechercher et à raconter sur lui, notamment concernant le reste de sa vie comme négociant en coton. Cela fera l’objet d’un prochain article lorsque j’aurai retracé en détail la deuxième partie de sa vie après son mariage !

Malgré toutes les précieuses informations que j’ai récupérées et tenté d’analyser, il n’y a pas de trace d’une quelconque appartenance d’Eugène au Régiment des Chasseurs à Cheval… à moins qu’il n’y ait des concordances entre les Régiments de Dragons et les Chasseurs à Cheval (j’avoue que je n’ai pas tout compris concernant l’organisation de l’armée).

Je réalise tout à coup que j’ai une dernière piste à exploiter, celle qui aurait dû me sauter aux yeux dès le début : le signalement physique d’Eugène sur sa fiche ! Cheveux et sourcils châtains, front et nez ordinaires, petite bouche, menton rond et visage ovale, je trouve que cela ne va pas à l’encontre de l’apparence de l’homme sur la photographie !

Il faut maintenant conclure : malgré son apparence physique semblable (mais somme toute assez commune) et au vu de son parcours militaire, Eugène CHOMETON ne serait pas le soldat sur la photographie de la tante Gilberte…

Eugène a 3 demi-frères d’un premier mariage de son père Victor. Peut-être est-ce l’un d’eux ? Cependant, leurs classes ne correspondent pas à la fourchette 1890-1899 de mon indice n°3…

[Edit décembre 2014 : la suite du mystère de la photographie ici !]

Outils indispensables pour des recherches sur un ancêtre pendant la Première Guerre Mondiale :

– Excellent site, incontournable pour comprendre le parcours d’un combattant de la Première Guerre Mondiale : http://combattant.14-18.pagesperso-orange.fr/pasapas.html
– Moteur de recherche pour retrouver un bureau de recrutement : http://www.ancestramil.fr/bureaux_de_recrutement_fr.html
– Carte de France des registres matricules en ligne : http://geneinfos.typepad.fr/geneinfos/la-carte-de-france-des-registres-matricules-en-ligne.html
– L’indispensable Chtimiste avec l’historique et les photos de nombreux régiments pendant la Première Guerre Mondiale : http://www.chtimiste.com
– Autre site intéressant pour retrouver les historiques des régiments pendant la Première Guerre Mondiale : http://jeanluc.dron.free.fr
– Base de données des Morts Pour la France pendant la Première Guerre Mondiale : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/article.php?larub=24&titre=morts-pour-la-france-de-la-premiere-guerre-mondiale

Enfin, mon modèle de fichier pour la fiche matricule est téléchargeable ici.

    • Merci ! Quoique personnellement je n’ai pas scrupule à reproduire des documents trouvés dans les archives : nos ancêtres ont payé assez d’impôts et ceux qui étaient dans l’armée ont assez souffert pour que leurs descendants ne se gênent pas 🙂

  • Belle enquête et excellent article. Je suis quand même étonné par le caractère négatif de la conclusion, puisque tout semble coïncider entre le dossier militaire er la photographie, y compris la description du visage, comme vous le remarquez vous-même.

    • Merci ! Eh bien, c’est surtout l’uniforme qui me gène… les Dragons, les Cavaliers de remonte et les Chasseurs à Cheval ont tous un uniforme différent ! J’ai rajouté des illustrations dans mon article pour bien voir la différence. Et la description physique est finalement trop basique pour être fiable…

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